Le refus d’intégration britannique

Passée l’insupportable propagande médiatique, puis la sidération du Brexit qu’elle n’a pu éviter, puis-je, au moment où la presse annonce qu’un ancien président de la commission européenne doit être recruté par une grande banque d’affaires, évoquer et la situation nouvelle créée en Europe et mon euroscepticisme ?

Tout d’abord, je ne cesse de répéter que le Royaume-Uni ne quitte pas l’Europe, faute de pouvoir rompre des attaches physiques et rejeter vers le grand large des terres si proches du continent. Jersey est à 30 km de la côte française et Londres à 2H30 de Paris. Et puis, les Britanniques ne vont pas perdre l’Euro, qu’ils n’utilisent pas, ne sortiront pas de Schengen, dont ils ne sont pas. Et puis, on peut imaginer qu’ils négocient de rester dans le Marché Unique. Ainsi, s’ils y arrivent, ils conserveront tous les avantages de l’UE en cultivant leur indépendance et préservant un peu de leur liberté. Alors quoi ? So what ?

A quoi nos amis britanniques auront-ils renoncé ? A participer au « projet européen », c’est-à-dire à la construction politique d’une entité supranationale européenne intégrée. Mais ce projet d’intégration fait-il encore sens ?

Je ne le pense pas, ou du moins, je n’y crois plus. Cette idée ne verra pas le jour, et est dorénavant morte. Et le dire aussi carrément, c’est aussi s’en libérer ; et s’en libérer, c’est débarrasser son esprit d’une idée « encombrante », obscurcissante et mieux voir ce qu’elle pouvait avoir d’irréaliste.

L’Europe a de nombreuses dimensions : géographique, économique, politique, culturelle, sociale, ethnique…

Géographiquement, son identité est une donnée naturelle et, sauf à combler le Channel ou à décoller les terres britanniques de leur socle minéral, les choses resteront en l’État, les iles britanniques amarrées au continent par un tunnel, comme un grand bateau tenu à quai par un « bout ».  L’Europe économique, elle, est faite, et c’est une réussite, au moins pour les plus riches[1] : Marché Commun depuis 1957, puis Marché Unique. Rien ne dit que la Grande-Bretagne quittera nécessairement ce grand Marché. Et l’Europe politique ? J’y reviendrai en conclusion. L’Europe culturelle existe, ancrée dans une longue histoire « européenne » que l’Angleterre, comme l’Irlande, L’Écosse ou le Pays de galle, ou d’autres nations ont faite. Et c’est une dimension structurante de notre occident. Nos modes de consommation sont de plus en plus américanisés ; nous parlons anglais, aimons la pop anglaise, passons nos vacances dans le Kent ou le Sussex et quand nous traversons la Manche, nous croisons les Britanniques qui descendent sur Quiberon ou vers le Périgord ou la Provence. Et la création de l’UE n’y a rien fait, et le Brexit n’y changera rien. Quant à l’Europe des imaginaires, comment imaginer que les Corses, Bretons, Catalans, Écossais, abandonnent leurs esprits nationaux pour se fonder dans une Union européenne qui n’est qu’un État bruxellois technobureaucratique, sans âme et dénué de toute consistance ?

Reste donc l’Europe politique ? Elle n’existe pas et n’existera pas, car toutes ses nations ne partagent pas les mêmes valeurs ; et ce point est rédhibitoire. Et je trouve symbolique que ce soit la nation qui inventa la démocratie occidentale qui quitte maintenant ce projet si mal engagé. Je pourrai trouver cent raisons pour montrer l’incohérence du projet d’intégration européenne. Je n’en prendrais qu’un, peut-être deux. Je note, par exemple, que le Premier ministre slovaque déclarait il y a quelques semaines que la Slovaquie n’accepterait que des migrants chrétiens et refuserait l’entrée de tout migrant musulman sur son territoire – partie du territoire d’une UE dont l’une des règles est la libre circulation sur son territoire de ses ressortissants. Dans le même temps, le processus d’entrée dans l’UE de la Turquie – qui compte 70 millions de musulmans – se poursuit. Tout cela n’a aucun sens. Ne parlons donc pas de l’absence de démocratie dans les structures politiques de l’UE. L’UE, avec ce que l’on appelait au XVIIIe la Nouvelle Europe est la pointe avancée d’un occident qui prétend défendre deux valeurs premières : les droits humains et la démocratie. Si les Anglais tiennent à leur démocratie, il est cohérent qu’ils quittent l’UE, quitte à en payer un prix que personne aujourd’hui n’est encore capable d’appréhender. Reste l’affolement des marchés qui doutent et que ces questions de liberté, d’indépendance, de valeurs humaines, de transcendante n’effleurent pas. Le Marché n’a pas d’âme, donc pas d’état d’âme.

[1]. Les pauvres, on s’en fout. Ils sont invités à rester dans les marges, à se taire et à se faire oublier. On les sortira les jours de fête, ou d’élection, pour qu’ils agitent leurs petits drapeaux en regardant passer la caravane bruyante et chamarrée, et on leur jettera des gadgets et des confettis.

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